LA REFORME DE L'ORTHOGRAPHE ET DU FRANCAIS POUR LES ILLETRES ?
Un article du journal "Le Parisien" (04/03/2016) portait à la connaissance de ses lecteurs, une liste parallèle des surnoms de plusieurs villes d'Ile de France. Une carte géographique impressionnante illustrait "le blaze de votre bled", en s'inspirant du verlan, acronymes, calembours... Voilà un journal qui deviendrait l'avant-garde de la langue française.
Quelques exemples puisés dans cet article démontrent la vivacité et l'évolution de notre langue : Longjumeau=Longbeach, Orly=Orlywood, Argenteuil=teuteuil, Jouy-en-Josas= Los Enjosas, Combs-la Ville=Combs l'Asile, Plaisir=Zizir, Le Pré-Saint-Gervais=PSG...
Faut-il conclure que Le Parisien a donc répondu à l'appel d'Emmanuel Macron qui déplorait sur Europe1 (09/2014) que des salariées licenciées auraient peu d'avenir parce qu'elles étaient illettrées (entreprise GAD). Ses excuses publiques n'ont pas fait disparaître la curiosité suscitée par une réforme du français. Après tout, le français est une langue vivante! Ce n'est pas une langue précieuse de salon. On connaît des citations pleines d'Histoire : "Casse-toi pauvre con" (Sarkozy / 2010) - "Je vous le dis les yeux dans les yeux" (Cahuzac - 2014) - "la chienlit" (de Gaulle / 1968) - "Le chômage va s'inverser" (Michel Sapin / 2014) - "Hollande, capitaine de pédalo" (Jean-Luc Mélenchon / 2012) - "Les Français aiment la bagnole" (Pompidou / 1972) - "famille, travail, patrie" (Pétain / 1940)...
Des milliers d'expressions rendent ainsi notre langue vivante et nous aident à comprendre l'Histoire et la complexité de notre monde. Par exemple, je prends l'expression "compagnon Macron" qui deviendra dans l'Histoire : "cromagnon pas con", et puis "Hollande", il finira comme "lando", et aussi le surnom de la Ministre du travail (avec sa réforme bouleversante) risque de devenir "Ris comme elle" à la place de El Khomri.
Les riches sont moins nombreux que les pauvres et sont plutôt dans le monde de la rente qui ne parle que le langage des chiffres. Et pourtant, ils ont permis l'expansion d'un vocabulaire populaire, car on a pléthore de surnoms pour le mot "argent" : pognon - flouze - fric - blé - oseil - carbure - pèze - tune - biffetons - pépettes - grisbi - Keusse - talbins...
En général, les pauvres sont plutôt dans le monde du travail, ce monde dans lequel on ne parle que de l'avenir du lendemain. Peut-être parce qu'il y a trop de chômeurs, peut-être que les pauvres que certains appellent par condescendance "les sans dents", et probablement parce qu'ils n'ont pas aussi de temps pour devenir érudits, n'utilisent que quelques surnoms pour le mot "travailler" : bosser - cravacher - gratter - taffer - trimer - turbiner...
Il est triste qu'un ministre de la République ait pu afficher un tel mépris. Ses déclarations d'excuse n'effaceront pas l'offense, car nombre de citoyens ont reçu cette outrance pour eux-mêmes. Quand les rentiers s'enrichissent en dormant et quand l'évasion fiscale devient le sport exclusif des nantis, comme il est triste d'entendre toujours sur les médias le matraquage de ces idées préconçues : trop de chômeurs profitent de leurs indemnités - trop d'assurés profitent des allocations sociales - trop de parents abandonnent l'éducation de leurs enfants - le code du travail est trop protecteur...
Le matraquage médiatique prend d'autres formes pour l'enfumage et l'incubation. Charlicote vous invite à relire son article "les médias télé". Ne ratez pas les reportages à 13h 15 les samedis et dimanches sur Antenne2. On y découvre des chômeurs, des salariés, des paysans, et même des entrepreneurs qui ne sont pas illettrés. Comme l'émission "Thalassa", c'est exemplaire de courage médiatique. Dans ces réseaux dominants de l'information qui nous façonnent la raison, nous fabriquent souvent notre opinion, et influencent nos idées, ces bouffées de réalisme social sont un salut pour l'intelligence collective. Ces rares émissions créent un langage médiatique bien vivant.
Comme d'autres auteurs et philosophes ont pris la plume, Victor Hugo nous avait alertés dans cette époque sans médias :
"... Mais surtout c’est le peuple, attendant son salaire,
Le peuple, qui parfois devient impopulaire,
C’est lui, famille triste, hommes, femmes, enfants,
Droit, avenir, travaux, douleurs, que je défends ;
Je défends l’égaré, le faible, et cette foule
Qui, n’ayant jamais eu de point d’appui, s’écroule
Et tombe folle au fond des noirs événements ;
Etant les ignorants, ils sont les incléments ;
Hélas ! combien de temps faudra-t-il vous redire
À vous tous, que c’était à vous de les conduire,
Qu’il fallait leur donner leur part de la cité...
...Que votre aveuglement produit leur cécité ;
D’une tutelle avare on recueille les suites...
...Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ;
C’est qu’ils n’ont pas senti votre fraternité...
... Comment peut-il penser celui qui ne peut vivre ?"
Il y a des pensées (et les mots pour le dire) qui ne vieilliront pas.
Merci quand même au journal "Le Parisien" pour sa contribution à la réforme de notre langue.